Le super bénéfice de Total est le plus important jamais réalisé par une entreprise française avec près de 14 milliards d'euros, en hausse de 14 % par rapport à 2007, pour un chiffre d'affaires de 179,98 milliards d'euros. Cela pourrait être une excellente nouvelle si l’origine de ce profit et son utilisation s’inscrivaient dans un développement durable. La question de sa taxation éventuelle ne se poserait alors pas.
Certes, de nombreux parlementaires UMP se sont immédiatement opposés à une telle initiative en raison de l’importance de l’impôt acquitté en France par Total. Frédéric Lefebvre, porte-parole de l'UMP a affirmé : « 13 milliards de bénéfices, ça veut dire environ 13 milliards d'impôts sur les sociétés pour l'État. » .
Malheureusement, c’est faux. Le chiffre de 14,1mds d’impôts que le groupe s’attend à payer en 2009 concerne le monde et pas seulement la France. Certes, l’impôt payé par Total en France est secret. Mais, une société paye ses impôts dans les pays où les filiales réalisent les bénéfices. Or les "impôts du résultat opérationnel net" sont de 14,5 milliards d'euros pour l'amont, (localisé hors de France) et de 143 millions pour l'aval.
UFC que choisir évalue à 5% les profits de Total réalisés en France et en 2007 et certains évaluent à 500 millions d’euros l’impôt sur les sociétés payé par Total. Quoiqu’il en soit, même avec les 140 millions de prime à la cuve, tant que l’opacité régnera sur la réalité de la contribution de Total au budget, ce type d’argumentaire n’est pas sérieux et la question de la contribution de Total à l’effort collectif est évidemment posée, mais dans des termes différents.
La situation florissante de Total n’est pas unique puisque, son grand rival américain, Exxon Mobil a annoncé 45 milliards de dollars de profits qui ont été aussi accueillis par une avalanche de critiques outre-Atlantique et pour les mêmes raisons.
"Total ne tire pas les fruits de son innovation, mais d'un simple effet de rente. Ce sont la hausse du prix du baril et les marges de raffinage qui ont permis ces superprofits alors que les consommateurs ont payé en 2008 des prix historiquement hauts", explique François Carlier, directeur adjoint des études à UFC-Que choisir.
Autrement dit, ces superprofits ont été directement ponctionnés, et sans aucune justification économique dans les poches des contribuables-usagers .Un exemple particulièrement choquant est celui de la Guadeloupe où la filiale de Total, SARA est un des accusés majeurs dans la critique de la vie chère en raison de son monopole de fait. On peut ajouter à l’effet de la rente, les économies réalisées sur la sécurité qui sont apparues dans l’affaire de l’Erika et sans doute d’AZF ou encore le comportement social de Total en Birmanie par exemple. Or Total a reversé 4,9 milliards de dividendes à ses actionnaires en 2008 (4,5 milliards avaient été reversés en 2007) soit une hausse de 10 % sur un an.
Ces dividendes correspondent à un taux de distribution de son bénéfice net de 37 %.C’est donc une illustration du maintien d’un système qui nous conduit à la faillite, en affaiblissant constamment la part des revenus salariaux par rapport à celle des actionnaires. C’est de la redistribution à l’envers !
Mais il y a plus. Les engagements d’investissements ne sont pas acceptables. Tout d’abord, l’investissement dans les capacités de raffinage est maintenu à un niveau très insuffisant dans le but de permettre une marge de raffinage très élevée. Ensuite, Total refuse d’investir massivement dans les énergies renouvelables alors que son produit, dont nous sommes dépendants conduit le monde à sa perte. Bien au contraire, la politique des pétroliers a été de nier le changement climatique et pour certains, dont EXXON de financer de fausses controverses scientifiques pour transformer en hypothèse ce qui est malheureusement une réalité.
Cette même politique a conduit à encourager l’industrie automobile à maintenir le moteur à explosion et à faire du lobbying pour éviter toute réglementation sérieuse. L’industrie pétrolière porte une large part de responsabilité dans le naufrage actuel de l’industrie automobile.
Dès lors, le seul comportement civique et soutenable de Total serait de nous aider à sortir de l’économie carbonée dans laquelle il nous a enfermés, en faisant des profits immenses. Cela ne signifie ni racheter ses propres actions comme il l’a fait des années durant, ni distribuer des dividendes sur des profits en définitive injustifiés. Au 1er janvier 2007, ils avaient 2,5 milliards de cash, au 1er janvier 2008, 7 milliards. Et, au 1er janvier 2009, 12,3.
De quoi investir massivement dans la recherche développement pour les énergies renouvelables, aider par des pépinières, de jeunes entreprises de ce secteur à se développer, investir dans une nouvelle industrie automobile décarbonée, investir dans la sécurité et le raffinage des installations existantes. Et accepter de réduire les profits en faisant exactement coïncider la baisse du prix à la pompe avec la baisse du prix du baril , mesure qui aurait bien davantage aider les familles que la seule prime à la cuve.
Malheureusement, tout ceci parait bien utopique.
Entre le nucléaire qui parait plus prometteur en terme de profits que le renouvelable et la bataille pour garder une cassette d’autant plus indécente que les revenus des entreprises et des ménages baisse, il semble que la messe ne soit à nouveau dite, ne laissant plus que le choix que d’un impôt sur le super bénéfices pour alimenter la décarbonisation de l’économie.
Corinne Lepage
Tribune France Culture du lundi 16 février 2009