Corinne Lepage: Remettre l'éthique au centre de la politique
La crise guadeloupéenne illustre une fois encore à quelles impasses et quels dangers l’injustice et l’immoralité peuvent conduire. Comment contester le bien-fondé des revendications des ultra marins confrontés à des prix supérieurs de 30 à 40 % de ceux de la métropole avec des revenus très largement inférieurs ? Comment contester la légitimité de leurs demandes de voir appliquer la loi républicaine en outre-mer, à commencer par le droit de la concurrence où une entreprise est manifestement en abus de position dominante sans que cela ne paraisse émouvoir personne et contrôle par exemple 43% des surfaces de vente en Martinique alors que la limite maximale est de 25% ? De même que la SOLA, filiale de Total a le monopole de la fourniture d’essence avec les prix que l’on connait ? Comment ne pas partager leur exaspération de ne pas voir appliquer les mêmes normes sanitaires qu’en métropole s’agissant de pollution ou de produits toxiques comme le paraquat , maintenu en Martinique jusqu’à ce que la cour de justice des communautés européennes finisse par l’interdire ? Comment ne pas comprendre le sentiment de mépris dont l’immense majorité de la population se sent l’objet quand lignes de partage sociales rejoignent les lignes de partage raciales et tout le pouvoir appartient aux mêmes ? Comment ne pas entendre la demande de République portée par l’immense majorité des ultra marins qui se considèrent comme oubliés par elle –et le long silence du Président a conforté ce sentiment- au sens où un traitement dans la dignité et l’égalité républicaine ne lui est pas accordé.
En réalité, la crise impose de revenir aux fondamentaux sans lesquels il ne peut y avoir que révolte et tensions sociales et politiques de plus en plus graves. Quels sont ces fondamentaux ?
Assurer à chacun de quoi vivre décemment, faire respecter une loi égale pour tous en recherchant une amélioration constante de la justice, préparer l’avenir. Assurer de quoi vivre décemment, signifie obligatoirement dans le contexte actuel, en outre-mer comme ailleurs, mettre sur la table la question de la répartition des revenus et cesser le déséquilibre insupportable et dangereux en faveur des revenus du capital. A-t-on mesuré ce tête-à-queue historique que représente la situation des titulaires américains de fonds de pension ? Après avoir durant des années imposé des taux de rendement délirants qui ont conduit des millions de personnes au chômage, ces personnes se retrouvent pour beaucoup, en ayant tout perdu , sans retraite et sans couverture sociale, à l’instar de cet homme de 90 ans , contraint de distribuer des tracts publicitaires pour gagner de quoi se nourrir, après avoir perdu plusieurs centaines de milliers de dollars ? N’y a – t’il pas là une leçon à tirer sur le fait que l’égoïsme et le court-termisme peuvent se retourner contre soi même et qu’une conduite éthique peut, en dehors de son aspect moral , être beaucoup plus intelligente . Si les titulaires de fonds de pension avaient pris en compte les conséquences des choix qui étaient faits en leur nom, ils n’auraient pas exigé des rendements aussi élevés, les acrobaties financières n’auraient pas vu le jour ou en tous cas, à moindre échelle et le retournement de tendance n’aurait pas été aussi violent.
Faire respecter une loi égale pour tous en recherchant constamment la justice tourne le dos à ce qui a été fait et l’est encore. Le refus d’assurer un minimum de solidarité en supprimant le bouclier fiscal, en plafonnant les rémunérations des établissements aidés à commencer par les banques comme l’ont fait les Etats-Unis et la Grande Bretagne, ou la violence de la réaction de Madame Parisot rappelant qu’elle était là pour défendre la propriété privée, celle des actionnaires en l’espèce, participent d’une même philosophie très risquée car inadaptée au tsunami actuel. Il ne s’agit évidemment pas de supprimer la propriété privée, mais de débattre des droits respectifs des uns et des autres dans une communauté confrontée à des menaces économiques et écologiques sans précédent en particulier du fait de leur cumul. Le fait de s’arc bouter sur des attitudes obsolètes est un véritable péril alors que nous devons trouver de nouvelles modalités de coopération entre nous.
Enfin, préparer l’avenir ; Il n’y a de sortie de crise que dans la préparation de l’avenir. De nombreux jeunes n’ont pas peur de l’avenir ; ils ont peur de ne pas en avoir, ce qui est bien différent.
Ces trois principes pourraient aisément être appliqués à l’outre –mer. Tout d’abord en modifiant les propositions d’allégement fiscal pour qu’elles ne favorisent pas les entreprises déjà hyper privilégiées, mais qu’elles aillent vers les allégements de charge pour augmenter le pouvoir d’achat ou baisser les prix et vers des entreprises assurant la production des biens et services en substitution aux importations, ou bien la réduction de la dépendance énergétique (transports, production énergie renouvelable, maîtrise de la demande en électricité).Un véritable plan de développement durable pour l’outre mer devrait être lancé dans lequel certaines mesures annoncées comme le maintien des mesures de défiscalisation pour les investissements productifs ou la défiscalisation du logement social auront toute leur place. Devraient s’y ajouter des mesures plus structurantes comme le développement des transports en commun ou l’instauration d’une prime de proximité pour tous ceux qui travaillent à moins de 10 kms de son domicile. Enfin et surtout, nous devrions tous comprendre la richesse patrimoniale et humaine que représente l’outre-mer et en tirer toutes les conséquences. Nous pouvons et devons le faire
Tribune Corinne Lepage sur France-Culture du lundi 23 février