La "castration chimique" : un traitement médical qui porte bien mal son nom
Quand on s'intéresse aux solutions existantes pour réduire le nombre d'agressions sexuelles, on arrive inévitablement à la "castration chimique". Nom plutôt barbare pour désigner un traitement médical, chimique (médicamenteux), inhibiteur de la libido, par administration en comprimés ou injections de substances hormonales anti-androgènes, un traitement médical proposé aux auteurs d'agressions sexuelles, utilisé dans la lutte contre la récidive.
La castration physique est évidemment interdite. Pour un traitement médicamenteux, le terme de "castration", même associé à celui de "chimique" est plutôt mal choisi. On pourrait déjà commencer par changer le nom de ce traitement parce qu’il renvoie à l'idée insupportable d'une mutilation physique génitale irréversible, à la fameuse "angoisse de castration" (étape du développement psycho- affectif) des théories psychanalytiques et parce qu'il constitue un obstacle réel au consentement au traitement.
Comment la société traitait –elle l’agression sexuelle dans le passé ?
Par la mise à mort, l’incarcération, le fouet, la lobotomie, la castration « chirurgicale » en place publique, etc.
Comment ne pas évoquer ici Pierre Abélard, célèbre intellectuel du XII è siècle, originaire de chez nous, en Loire-Atlantique actuelle, qui fut châtré pour avoir aimé Héloïse. Abélard est né au Pallet (44), au sud de Nantes dans le vignoble du Muscadet. Il a survécu à son châtiment voulu par l’oncle d’Héloïse. Les amants légendaires ont leur tombe au cimetière du Père Lachaise à Paris. Quand j’étais étudiante en BTS Tourisme à Paris lors d’un TD de technique de guidage délocalisé sur le terrain au Père Lachaise, j’avais été chargée de préparer le commentaire du tombeau et de leur histoire, autrement plus intéressante que le style néo-gothique de la tombe. Je les évoque encore quand je fais visiter le vignoble et aujourd’hui dans ce billet.
Quelques siècles plus tard, la psychanalyse, les thérapies comportementales, l’hypnose sont introduites dans les traitements des agresseurs sexuels.
La pharmacologie a été acceptée tardivement dans le traitement des déviations sexuelles, longtemps considérées comme impossibles à traiter.
Avant l'apparition des traitements anti-androgènes, les neuroleptiques (découverts en 1952) ont été utilisés, faute de mieux, dans cette indication ainsi que le terme de « castration neuroleptique réversible » (1966).
Les premières recherches sur l'approche pharmacologique anti- androgène ont été faites à partir de 1967 en Europe, 1970 aux EU, au Québec en 1981 puis au Canada. En France, les "recherches sont plus qu’indigentes, les études sur la castration chimique et les effets des traitements anti-hormonaux ont dû être arrêtées faute de patients envoyés."
Produites chez l’homme et la femme, les hormones stéroïdes, sécrétées par testicules et ovaires, ont été découvertes dans les années 20 et très vite fabriquées en laboratoires et commercialisées.
A partir des 3 hormones : progestérone, testostérone et œstrogène et de la structure chimique de ces hormones sexuelles, on a commencé à travailler sur les traitements androgènes.
Deux produits sont utilisés. Ce sont deux produits de synthèse qui ressemblent chimiquement à la progestérone :
L’acétate de cyprotérone (Androcur) utilisé dès fin des années 60.
L’acétate de médroxyprogestérone (dépo Provera) à partir du début des années 70.
Les deux acétates ne sont pas une panacée pour tous les cas de paraphilies qui ont été traités.
L’arrivée de traitements anti-androgènes comme les agonistes de la LH-RH* constituaient un espoir à la fin des années 90. Prescription si risque de passage à l’acte élevé. Injection de triptoréline, (DECAPEPTYL) peut être utilisée hors AMM chez certains patients ayant des pulsions sexuelles.
L’administration du traitement hormonal se fait sous forme d’injections intramusculaires ou en comprimés, pour les deux acétates. La voie intramusculaire est souvent préférée cf. à plus longue durée d’action, rapidité d’action, et permet de s’assurer de la bonne prise du médicament.
L’hormonothérapie a dépassé le stade de l’expérimentation et fait maintenant partie de l’arsenal thérapeutique pour traiter la délinquance sexuelle. La méthode, sans être une solution unique ni une solution miracle présente l'avantage d’apporter des changements rapides tant sur le plan physiologique que psychologique. L’efficacité après 20 ans d’utilisation ne fait plus de doute (études 1981, 1990). Un nombre significatif de patients ont indiqué l’arrêt des agissements déviants, une diminution ou un arrêt de la production de fantaisies érotiques non désirées et l’amélioration générale de la qualité de vie.
Les deux produits entraînent une diminution rapide de la quantité de testostérone plasmatique (dans le sang) avec une modification du comportement sexuel, une diminution de l’intensité de la réaction aux stimuli.
A qui s’adresse le traitement ?
Indications de traitement pour des individus dont les comportements ou fantaisies sexuelles sont non désirés, cf. nature, intensité, fréquence, pour des patients envahis par leur problématique sexuelle, qui se reconnaissent incapables de la maîtriser.
L’objectif du traitement est d’empêcher la récidive. « Tous les traitements de délinquance sexuelle incluant approche pharmacologique ont en commun un certain nombre d’objectifs qui débordent largement le simple fait de pouvoir maîtriser le comportement déviant, à savoir l’amélioration de la qualité de vie sexuelle, affective, relationnelle et sociale. »
L’intérêt des traitements aux anti-androgènes permet un apaisement propice à l’approche psychothérapique », agissant comme un « calmant » qui permet ensuite de s’attaquer au problème de fond pour obtenir un changement de comportement de l’individu.
Le traitement doit impérativement être associé à une psychothérapie dans le but de diminuer le comportement sexuel déviant.
Donner un traitement, c’est poser la question de savoir si ce sont aussi des malades, est-ce qu’on doit les punir mais aussi les soigner ? Est-ce qu’on peut les condamner à se soigner ?
Contre-indications absolues :
Lorsque le consentement est refusé par le patient
Lorsqu’il n’existe pas de volonté véritable d’entreprendre un traitement.
Pour une réelle efficacité du traitement, il convient de s'assurer du désir du sujet de modifier son état pathologique et pas seulement sa situation juridique.
Effets positifs rapportés par les patients :
- Arrêt rapide de l’exécution des actes non désirés
- Disparition progressive des fantaisies déviantes
- difficulté à les maintenir
- Diminution de excitabilité sexuelle en présence d’un objet inadéquat
- Sensation de liberté jamais éprouvée jusque là, pouvoir circuler sans toujours être sur la défensive ou « à la chasse »
- Pas de rechute sur 3 ans ou 5 ans pour les deux témoignages
- « ne pas revivre l’enfer que j’ai vécu »
- capacité de se regarder sans honte, se considérer comme un être humain normal et avoir une vie normale avec compagne.
L’appartenance à un groupe (famille, travail, amis) est un facteur majeur pour le pronostic à long terme.
La durée minimale du traitement est de : 6 mois
L’arrêt du traitement devrait toujours être progressif. Le patient doit être informé que le traitement devra peut-être être repris si de nouveaux facteurs de stress ou événements interviennent. La reprise peut être de courte durée (ex : si retour déviances pédophiles après une rupture amoureuse)
Le patient doit demeurer conscient de la possibilité d’une récidive et ne reçoit jamais le message que le traitement est terminé.
L'impérative notion de « consentement »
« Le consentement aux soins est un préalable absolu à toute relation thérapeutique » Le Monde 07 05 00 – Evry Archer, pdt association psys exerçant en prison.
Au cœur du traitement médical, il y a la notion de consentement du patient, parfois difficile à appréhender par la société ou les familles, victimes d’individus qui n’ont pourtant pas demandé le consentement de leurs victimes.
A partir du moment où un délinquant sexuel est pris en charge par le corps médical, même en milieu carcéral, il devient aussi un patient. Et un médecin, pour des raisons évidentes d'éthique, ne peut imposer un traitement à un patient si celui-ci s'y oppose de la même manière que la société via la justice peut sanctionner un citoyen qui a dérogé à la règle commune et décréter une incarcération ou une injonction de soins.
En Europe, la castration chimique repose toujours sur le principe du consentement, lequel s’obtient avec des arguments médicaux. Selon les pays il y a de fortes différences. Aux Etats-Unis (Texas Californie) la castration chimique peut être obligatoire s’il y a récidive sur mineur de moins de 13 ans, en Espagne elle est toujours considérée comme un traitement dégradant ; bien souvent il n’y a rien dans les textes (ex : Royaume-Uni) avant la fin des années 90 etc. Au Danemark elle est utilisée comme une alternative à l’incarcération ou pendant la liberté conditionnelle.
Les réticences des médecins, des psychiatres à soigner ces patients donc à prescrire ces traitements s’expliquent sans doute aussi par la « judiciarisation » de la société et les risques de procès. Nombreux sont les acteurs du système judiciaire ou de soins qui redoutent aujourd’hui de devenir alternativement les boucs émissaires d’un problème que la société n’arrive définitivement pas à résoudre.
On peut s'interroger aussi sur notre société où bien souvent l'accès aux soins passe par une condamnation. Rares sont les agresseurs sexuels qui vont eux même chercher de l’aide, il faut des faits graves pour que les premiers soins soient proposés ou recherchés.
ATTENTION : Médicament de première intention, en association à une psychothérapie, composante du traitement global des agresseurs sexuels, le traitement par castration chimique – qui ne peut s'adapter à tous les profils - ne doit pas être perçu comme la panacée et ne peut en aucun cas être la seule réponse aux crimes sexuels.
« Si la prise d’un simple médicament permettait à un pédophile multirécidiviste de redevenir un patient normal, ça se saurait. »
Autres réserves : on propose des traitements qui modifient la testostérone alors que les liens entre la testostérone et les comportements sexuels déviants ne sont pas toujours prouvés et que le rôle de la testostérone dans la libido est controversé.
Il semble que la prise d’alcool associée ou pas à des stupéfiants dans près de 50 % des cas d’agressions sexuelles compte autant que le taux de testostérone dans le sang.
Le traitement doit absolument être associé à un travail de psychothérapie dans le but de diminuer le comportement sexuel déviant ce qui suppose évidemment des moyens humains et matériels.
Sans changement réel de comportement, on n’obtient pas de changement réel pour l’agresseur et le risque de récidive augmente.
Certains agresseurs sexuels, en particulier violents ou sadiques, ne répondent pas toujours d’une façon significative au traitement.
Il faudrait :
- des centres psychiatriques où l’évaluation serait multidisciplinaire et de complète
- un meilleur maillage territorial de l’offre de soins
- un travail en réseau
- une politique européenne sur ces questions
Bibliographie :
Le traitement hormonal - Pierre Gagné (pages 223 à 234) in
Les agresseurs sexuels Théorie, évaluation et traitement Jocelyn Aubut et collaborateurs
Les éditions La Chenelière, Montréal, Maloine, Paris, 1993
Castration chimique : l’état des lieux (02 10 2009) Libération.fr
Troubles des conduites sexuelles. Diagnostic et traitement. Article Encyclopédie Médico-Chirurgicale (EMC)
La castration chimique - Wikipedia – Pour le traitement par pays.
« Pas une castration, une libération » Le Monde 18 11 2009
« Réputés incurables, les agresseurs sexuels furent pris en charge tardivement par les psychiatres » Le Monde 01 03 01
« L’inquiétante étrangeté du passage à l’acte » Le Monde 29 10 97
« Un traitement médical pourra être imposé aux délinquants sexuels « Le Monde 04 09 97
« Des consultations psychiatriques pour dire et redire que le passage à l’acte est interdit » Le Monde 04 09 97
« Punir les pédophiles, mais aussi les soigner » Le Monde 06 09 07
Avis de la Haute Autorité de Santé 18 février 2009, commission de transparence sur le Salvacyl.
La vraie insécurité quotidienne c'est celle des femmes
"Plaintes & chuchotements" d'Olivier Truc - Le Monde 08 02 11
100 millions de femmes manquent à l'appel !! (Chronique Yves Simon Le Monde)