« Les projets de téléphérique urbain fleurissent en France » Le Monde 13 10 2012
« Les projets de téléphérique urbain fleurissent en France »
Sophie Landrin - LE MONDE le 13.10.2012
« On l'associe volontiers à la montagne et au ski, et beaucoup moins au travail et à l'urbanité...
Le téléphérique est pourtant en train de gagner les villes.
Londres a inauguré pour les Jeux olympiques de 2012 son "Emirates Air Line", 34 cabines perchées à 90 m de hauteur pour franchir la Tamise au-dessus de Greenwich. Barcelone a ses oeufs pour gravir la colline de Montjuïc, comme Coblence pour traverser le Rhin et atteindre la forteresse d'Ehrenbreitstein. Rio, New York, Portland, Alger, Constantine, Funchal, Bolzano... La liste des villes équipées de téléphérique ne cesse de s'allonger.
Les expériences les plus significatives ont été menées dans les années 2000 par deux villes d'Amérique du Sud : Medellin, en Colombie, puis Caracas, au Venezuela. Le téléphérique, conçu comme un véritable mode de transport de masse, est devenu à la fois un vecteur "propre" de mobilité – aucune émission de CO2 –, mais aussi un outil de désenclavement des quartiers les plus pauvres. A Medellin, le succès est tel que la ville envisage la construction d'une quatrième ligne.
La France est en retard. Elle fut pourtant l'une des pionnières lorsqu'elle inaugura à Grenoble, en 1934, la télécabine de la Bastille, à vocation touristique, pour relier le centre-ville à un fort militaire sur les contreforts de la Chartreuse, à 476 m d'altitude. Plusieurs projets ont été abandonnés ces dernières années, notamment à Issy-les-Moulineaux, sous la pression de riverains réfractaires à l'idée de voir leur habitation survolée par des "bennes". Mais les premières réalisations devraient voir le jour à partir de 2015.
DEUX FOIS MOINS CHER QUE LE TRAM
Economique, écologique, sûr, nécessitant peu de travaux, le câble séduit les élus locaux pour franchir les obstacles naturels, rivières ou dénivelés et éviter la construction d'ouvrages d'art coûteux. Un kilomètre de câble coûte deux fois moins cher que le tram. Son débit n'est certes pas celui d'un métro, mais il peut transporter, selon les modèles, jusqu'à 8 000 voyageurs par heure.
Les Brestois seront les premiers à découvrir leur "câble" en 2015. La municipalité a choisi d'assurer la traversée de la rivière Penfeld et la liaison entre le centre-ville et le plateau des Capucins par un téléphérique. Ce quartier de douze hectares était jusqu'à présent propriété de la marine, interdit au public et séparé du centre par la rivière. Racheté par la métropole, l'arsenal va devenir un écoquartier mariant logements, commerces, activités culturelles et bureaux.
Pour le desservir, les élus avaient d'abord imaginé recourir à une passerelle mais l'idée a été abandonnée, notamment à cause du passage des navires militaires. L'option d'un pont transbordeur était trop chère – entre 50 millions et 60 millions d'euros. Le futur téléphérique, qui coûtera 15 millions d'euros, pourra transporter 2 000 personnes par heure.
7 000 PERSONNES PAR HEURES
A Toulouse, des télécabines connecteront en 2017 trois sites stratégiques séparés par la Garonne et une colline : l'Oncopole (le centre de recherche contre le cancer construit sur l'ancien site AZF), l'hôpital Rangueil et l'université Paul-Sabatier. Long de 2,6 km, relié au métro, il aura un débit de 7 000 personnes par heure. Seulement dix minutes suffiront pour passer d'un site à un autre, alors qu'un trajet en voiture pouvait en prendre quarante-cinq. La fréquence sera d'une minute et trente secondes en heure de pointe et de cinq à sept minutes le reste de la journée.
"Ce n'est en aucun cas un gadget ou un objet touristique, ce projet répond à une logique de transports, plaide Joël Carreiras, adjoint au maire de Toulouse et vice-président de l'agglomération chargé des déplacements et des transports. Soit il nous fallait creuser un tunnel, soit passer au-dessus et nous n'en avions pas les moyens financiers." Le coût du téléphérique et de ses trois stations est estimé à 45 millions d'euros
Dans ces deux villes, aucun survol d'habitations privées. C'est l'un des principaux obstacles à ce mode de transport, outre son impact visuel sur les paysages.
Dans la région parisienne, une liaison de 5 km (Créteil - Limeil-Brévannes - Villeneuve-Saint-Georges), au départ de la ligne 8 du métro, devrait voir le jour. Le syndicat des transports d'Ile-de-France (STIF) doit rendre ses conclusions début 2013 pour déterminer si le "câble" est la technique la plus opportune.
Nous sommes dans un territoire enclavé, coincé par des plateaux et par la Seine, avec des coupures urbaines fortes, ferroviaires et routières, c'est donc un mode de transport adapté, défend Marc Thiberville, vice-président du conseil général du Val-de-Marne. Le téléphérique mettra moins de quinze minutes, quand il faut aujourd'hui trente minutes en voiture et quarante-cinq minutes en bus."
"INTERCONNECTER LE RÉSEAU EXISTANT"
A une échelle beaucoup plus vaste, Grenoble envisage un chantier gigantesque, à la fois urbain et extra-urbain. Un téléphérique de centre-ville pourrait permettre de franchir deux rivières (l'Isère et le Drac) et de relier les trois lignes de tramways parallèles les unes aux autres. La commune a commencé à préempter le foncier."L'agglomération a beaucoup investi dans des lignes de tram et nos capacités de financement se réduisent. Il nous faut donc trouver de nouveaux modes de transport qui permettent d'interconnecter le réseau existant, métro, bus, tramway", fait valoir Philippe de Longevialle, en charge de l'urbanisme.
A terme, ce réseau interne pourrait être prolongé bien au-delà des frontières de la ville par deux autres lignes pour rejoindre la station de Chamrousse, dans le massif de Belledone, et Villard-de-Lans, sur le plateau du Vercors. "Ce sont des routes encombrées et dangereuses, ceux qui viennent travailler à Grenoble auraient grand intérêt à abandonner leur voiture" poursuit M. de Longevialle. Mais le projet fait polémique. Des propriétaires y sont hostiles. Des communes craignent une inflation du foncier et du bâti. A l'inverse de Medellin, l'attractivité du téléphérique est ici redoutée..."
Sophie Landrin – Le Monde – 13 10 2012