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Chronique dédiée à celles qui ne la liront pas (et à Mme de Lafayette)

3 Juin 2009 , Rédigé par Isabelle Loirat Publié dans #Lectures

par Sylvie Goulard, tête de liste MoDem dans l'Ouest aux Européennes 2009. Elle écrit chaque jour une chronique inspirée de la campagne. Voici celle d'aujourd'hui dédiée à l'auteur de la Princesse de Clèves. Retrouver les chroniques de Sylvie Goulard chaque jour sur son blog.
 


Chroniques européennes du large N°28
3 juin 2009


Chronique dédiée à celles qui ne la liront pas (et à Mme de Lafayette)

Cette chronique est dédiée à Indu, Françoise et Samira que j’ai rencontrées dans un atelier d’insertion poitevin où elles réapprennent à lire et à écrire. Femmes isolées dans leur désert sans mots. Femmes perdues à l’arrêt d’autobus, à la sécurité sociale et même à la maison, quand les enfants rapportent leurs cahiers. Femmes privées de travail et de l’échappée belle des livres. Femmes laissées par l’école sur les rivages du savoir élémentaire. Femmes courageuses, résolues à s’en sortir.

Selon le Président de la République, il serait vain d’enseigner La Princesse de Clèves. Mais le scandale n’est pas que l’école interroge sur La Princesse de Clèves des enfants dont le niveau de français est si bas qu’ils ne peuvent pas la comprendre. Le scandale, c’est qu’on puisse sortir de l’école, en France, en 2009, avec un tel niveau. Ou qu’on puisse vivre dans notre pays, depuis des années, sans avoir jamais appris le français, sans être jamais sorti d’une banlieue où il n’y a plus ni vie sociale, ni accès à la culture. Le scandale, c’est d’oublier que la mère d’Albert Camus ne savait pas lire non plus. Autrefois, l’école de la République faisait connaître à des enfants démunis les chefs d’œuvre que leur entourage ignorait.

En Pays de Loire, des personnes en charge de jeunesse m’ont elles aussi adressé un message d’alarme : trop d’enfants, trop de jeunes sortent de l’école sans qualification. Ces témoignages corroborent les chiffres européens : les jeunes français quittent l’école moins qualifiés que les jeunes allemands ou danois, moins bien armés pour affronter la mondialisation. Ils ont du mal à démarrer dans la vie, à s’installer. Bien sûr, la solidarité familiale joue : quand ils le peuvent, les aînés viennent en aide aux jeunes, tout comme ces « parrains » bénévoles qu’ont mis en place plusieurs associations. Mais, dans son ensemble, la société française continue de gâcher son avenir. Tout en se flattant d’une démographie supérieure à celle d’autres pays d’Europe, elle gaspille bien des talents.

L’une des mes convictions les plus profondes c’est que, dans un monde qui change vite, il faut donner à chacun une éducation aussi exigeante que possible. Apprendre à lire et écrire, recevoir une formation en prise avec le monde, apprendre la langue française quand on est étranger, c’est avoir plus de chances de travailler mais aussi de s’épanouir, de goûter ce qui est beau. Les grandes œuvres d’art n’appartiennent pas à l’élite. Les plus pauvres sont peut-être ceux qui en ont le plus besoin. Plus encore que les autres, les enfants défavorisés doivent en entendre parler à l’école car ce n’est pas à la maison qu’ils auront une chance de les découvrir. Et plus on est enfermé dans un milieu étroit, plus on se débat contre le manque de moyens matériels, plus le livre peut être un moyen de s’évader, de mettre en valeur des talents insoupçonnés, d’enrichir sa vision du monde.

La Princesse de Clèves est toujours jeune, qui parle de jalousie et de passion. Sa langue surannée, ses imparfaits du subjonctif nous déroutent mais elle nous dit beaucoup de choses : mieux qu’un texte contemporain, ce roman permet de sentir ce qui, par delà les âges et les barrières, par delà les préjugés, est le propre de l’homme. Et, sans doute, en Allemagne, « Les souffrances du jeune Werther », en Italie « La divine Comédie » ou en Angleterre « Le songe d’une nuit d’été » jouent-ils le même rôle de pont entre les générations. Ce ne sont pas des « vieilleries » à remiser au grenier, c’est le patrimoine commun des Européens, c’est un trésor à partager.

« Nous voulons une Europe culturelle. Instauration de la TVA à 5,5% sur les produits culturels » dit un tract de campagne de l’UMP. Le raccourci entre culture et consommation me met mal à l’aise. La culture, ce ne sont pas que des « produits ». Visiblement, ceux qui l’ont rédigé n’ont pas lu un bouquin depuis longtemps. Ils auraient su que, sur ces « produits » là, la TVA est déjà à 5,5 %, tout comme sur les spectacles de variété, de cirque, de théâtre, les droits d’entrée dans les musées, les expositions, les places de cinémas et les services de télévision*.

Je préfère une Europe cultivée, qui ne soit pas seulement celle des marchands de culture et des parcs de loisirs mais celle du savoir respecté, partagé et ouvert sur les autres Européens.


Sylvie Goulard


* Code Général des Impôts, articles 278 bis et 279. Le disque en revanche est au taux normal.


Pour lire les chroniques de Sylvie Goulard

La liste MoDem est créditée d'un score de 16 % dans un sondage BVA pour la PQR publié ce matin.

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